Nous débutons la série “I am a French Beauty” avec Lauren Bastide. Journaliste, militante, activiste et co-fondatrice des Nouvelles Ecoutes, le podcast incontournable. Nos chemins se sont croisés il y a des années, lors de mon passage au Elle et depuis c’est un soutien indéfectible. Lauren a une vision très moderne de la beauté, une façon bien à elle de rendre sa place à la femme au sein de la société, de se battre pour elle et de lui donner une voix.

 

Qu’est-ce que la beauté signifie pour toi ?

C’est un mot qui évoque à la fois pour moi le meilleur et le pire. Je trouve le mot « beauté » lumineux et empouvoirant. J’aime bien dire aux femmes de mon entourage qu’elles sont belles. Il m’arrive même parfois de le glisser à une voisine dans le métro dont j’admire l’élégance, le turban joliment noué ou le nuage de poudre sur le visage.Quand je formule un tel compliment, je sais que je fais du bien à celle qui le reçoit. On entend finalement si peu « tu es belle » dans sa vie ! Combien de femmes sont capables d’affirmer sereinement qu’elles se trouvent belles ? Et cela nous mène au pire de ce mot. Il est le nom d’une rubrique de magazine qui véhicule une vision stéréotypale de la beauté. Ce mot est donc aussi un lieu dont l’immense majorité des femmes sont exclues par une pensée dominante qui diffuse complexes, voire honte ou détresse. Ce qui est catastrophique, car pour moi être belle n’est pas le fait de se conformer à des canons, c’est un amour de soi qui se nourrit de fierté, de soin de soi et de respect.

Est-ce que tu te reconnais dans les standards de beauté actuels ?

Je suis blanche, blonde, cis, et en plus je suis grande, ce sont d’incontestables privilèges quand il est question des standard de beauté. Si j’ai souffert de ces standards c’est plutôt dans le sens où l’on a souvent cherché à me « réduire » à cette apparence. Par exemple, on supposait, adolescente, que parce que j’avais ce physique, je rêvais de devenir mannequin (alors que mon truc c‘était plutôt les sciences politiques). Aujourd’hui encore, on m’imagine mal entrepreneuse, et même mère ! C’est du sexisme de base. Mais avec l’âge cela s’arrange, et cela me blesse moins qu’avant. Je me réjouis surtout qu’aujourd’hui le stéréotype de la « belle femme » se diversifie, comparé à mon adolescence où des armées de clones de Claudia Schiffer peuplaient les publicités et les magazines. J’aime voir des séries de mode avec des mannequins arborant une volumineuse afro, des taches de rousseurs couvrant leurs corps, des cuisses très larges, des dents du bonheur. Ou voit désormais, et de plus en plus souvent, grâce aux réseaux sociaux et au travail de nombreuses militantes, de la cellulite, des masectomies, de l’acné, des fauteuils roulants… Cette énumération est malheureuse et ne donne qu’un infime aperçu de toutes celles qui ne sont pas représentées dans cette rubrique «Beauté »! Mais j’ai l’impression que cela avance. Je suis convaincue que cela redonne de la fierté à beaucoup de femmes longtemps exclues de ces espaces de représentation.

 

Si tu étais ministre de la beauté française, quelle serait ta première décision ?

J’encouragerais l’inclusivité et la diversité des représentations dans les journaux, dans les publicités et dans les productions cinématographique et télévisuelles. Je suis vraiment favorable aux quotas, même si à mon avis les rédactions et les marques de mode et de beauté devraient se les imposer d’eux-mêmes. Malheureusement, les choses ne bougent pas toutes seules. Cela fait des années que les magazines féminins français sont interpelés sur la sous-représentation des femmes noires sur leurs couvertures, et rien ne bouge. Il n’y a eu aucune femme noire en couverture de Elle depuis plus d’un an ! Cela me met très en colère. Car je suis convaincue du pouvoir des représentations. Se sentir représentée, cela agit sur l’estime de soi, cela donne de l’assurance. Et cela peut changer un destin.

 

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Lauren Bastide, à retrouver sur :
www.nouvellesecoutes.fr
https://itunes.com/lapoudre

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